Page:Cadiot - Minuit.pdf/148

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malheur ; mais la veuve se leva pour ne pas continuer, plus longtemps, une discussion pénible.

— Vous réfléchirez, mon frère, dit-elle en sortant, et vous comprendrez que j’ai raison. D’ailleurs, je vous ferai ici la position très-supportable, et vous vous trouverez, même après notre départ, plus heureux qu’en France.

Quand le pauvre teneur de livres fut seul. Il poussa des cris pour exhaler sa douleur, il se tordit, il se roula par terre, il maudit le ciel et implora l’enfer. Toutes les jouissances entrevues et rêvées, toutes les ivresses qu’il avait effleurées comme le prélude d’ivresses plus entières, reparaissaient soudain devant son imagination, comme une troupe de fantômes qui l’entouraient d’un cercle magique dansaient autour de lui une ronde folle et l’appelaient tour à tour avec leurs plus séduisants sourires ; puis, lorsque altéré de plaisir, il voulait s’élancer vers eux, ils s’éloignaient en riant de ses efforts ou s’évanouissaient en fumée, laissant devant lui un grand livre ouvert, un encrier, un pupitre de cuir usé, un bureau noir.

Certes, si en cet instant Satan lui était apparu comme il apparaissait jadis, sous une forme sensible, et s’il lui avait demandé son âme, Naigeot l’eût vendue sans hésitation et sans regret, pour saisir cette fortune dont l’avaient leurré des génies malfaisants, pour anéantir à jamais cet attirail de commis, qui avait enveloppé sa jeunesse dans un suaire de papier noirci…