Page:Cadiot - Minuit.pdf/91

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cœur sentira la lancette acérée, se replonger mille fois au bruit de leurs rires. — Car ils rient, les misérables, en nous déchirant !… ils parlent de leurs orgies !… ils parlent de leurs maîtresses !

» Et puis, quand tout sera fini, quand une partie de ton être aura été jetée à la voirie, quand tes mains ou tes pieds, si jolis maintenant, auront été coupés et emportés par eux pour s’en faire des jouets, on roulera les restes dans un drap grossier, — le drap de l’aumône ! — on les mettra dans une botte, aux ais à peine joints, et on les jettera dans une fosse, ignoble… au hasard ! — sur moi, sur les morts d’hier, sous ceux de demain, entre un vieux mendiant et quelque débris de honte ou de crime !

» Tu sentiras tout cela : et la terre lourde, et la pression d’un autre cercueil sur le tien, et le froid de la neige, et l’humidité de la pluie.

» Puis tes souffrances dureront longtemps… longtemps… jusqu’à ce que les vers aient rongé tes os ; jusqu’à ce que le sable aride ait bu le suc de ta chair, pour en faire de l’herbe et des fleurs…

» Voilà ce que souffrent les trépassés, sous la tyrannie des vivants qui règnent sur la terre. — Mais, c’est aujourd’hui le jour des morts… les morts s’éveillent et se vengent !… »

Et le cadavre, fier de sa royauté d’une heure, se redressa, terrible, en promenant autour de lui un regard fixe.