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disent que rien n’est pénible comme de se souvenir du temps heureux dans la douleur !

— Oh ! vous n’êtes pas bien malheureux, j’espère ? dit la marquise.

— C’est un malheur, madame, que l’absence du bonheur quand on y a goûté… Et puis, je suis vieux, c’est-à-dire que la belle fée de la jeunesse, de la poésie et de l’amour s’est envolée d’auprès de moi en me faisant le signe de l’éternel adieu… Et le bonheur, n’est-ce pas avant tout la jeunesse ?… La jeunesse ! mot magique ! qui évoque un monde de joies à jamais perdues… Ah ! pour retrouver un de ces jours bénis, je donnerais tout ce qui me reste de vie…, je jetterais mon avenir entier comme une guenille… Nous sommes ici trois ou quatre personnes ayant passé le bel âge de la vie. Eh bien ! je parierais qu’à l’évocation rapide de quelques souvenirs, toutes diraient comme moi ! »

Personne ne répondit.

« Contez-nous votre histoire, » reprit la marquise, après un court moment de silence.

C’était à Blois, dans le salon de la vieille marquise d’Andaye, et au milieu d’un cercle d’une dizaine de personnes, que l’avocat général Martimont venait de laisser échapper ces paroles. Ce cercle intime se réunissait régulièrement tous les soirs dans le même salon. On jouait, on causait, parfois même on lisait.