leurs combattants. Quoi, nous avons été soulevés par une
telle vague d’enthousiasme, nous avons été si « grands »,
nous valions, « je le dis comme c’est, les hommes de la
Révolution et de l’Empire »,[1] nous valions des « hommes
qui ont eu les plus hautes fortunes » (page 205) ; et voilà ce
qui s’en est suivi : l’ignominie des jours présents et l’obscurité
pour le juste. L’auteur est, à l’égard du Dreyfusisme
triomphant, dans l’état d’esprit d’un chrétien des âges apostoliques
qui aurait vu s’accomplir en quelques années,
sans s’y associer, l’évolution que l’Église a parcourue en
plusieurs siècles : de la lutte pour l’Idéal à l’adaptation aux
iniquités de ce monde et au dédain de l’idéalisme obstiné.
— Voilà, si je ne me trompe, le fond de la philosophie de
M. Péguy. Car il parle souvent de « travailler » à autre
chose ; mais il en revient toujours là.
Un chrétien des premiers âges, qui aurait vu Constantin et sa suite, se serait sans doute réfugié dans une métaphysique hautaine, la défense des classiques grecs et le culte des anciens héros. Il est donc naturel qu’un dreyfusiste intransigeant, amer et désappointé, se retire de même dans les templa serena d’un bergsonisme inaccessible au commun des « démocrates », rompe des lances en l’honneur des humanités traditionnelles contre les barbares du jour, et célèbre Jeanne d’Arc sous l’œil bienveillant de M. Maurice Barrès. D’autant plus que, en agissant de la sorte, on est sûr de ne pas rester isolé : on a pour soi, d’avance, l’applaudissement, l’appui moral et, au besoin, « temporel », du parti, toujours considérable, qui est irréductiblement opposé, pour les mêmes raisons que soi, et pour d’autres, à celui qui paraît au pinacle. — Voilà, il me semble, comment il se fait que M. Péguy, qui est, au fond, si primaire (par sa préoccupation persistante des choses d’école, sa roideur et sa demi-culture, verbale et sans substance), ait adopté d’instinct l’attitude qu’on lui voit ; et que cette attitude commence à lui valoir, avec la curiosité, les sympathies a priori du beau monde, si grossièrement méprisant,
- ↑ Il y a bien : « et de l’Empire ». — (Note de la Revue Critique).