Page:Cahiers de la Quinzaine, 14e série, n°9-11, 1913.djvu/227

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l’argent suite

§. — Nous touchons ici à un des sentiments les plus profonds de l’homme, et à l’un des plus singuliers, et à l’un des plus mystérieux ; et à l’un des plus donnés ; par conséquent à l’un de ceux que la plus belle imagination du monde n’inventerait pas ; et dont la plus belle imagination du monde n’aurait même et ne donnerait même aucune idée. Il faudrait un roman, et peut-être plusieurs, pour commencer à déblayer un peu, expedire, ce sentiment si singulier, si mystérieux, si trouble. Mais qui ferait ce roman ; et n’est-ce point là précisément un de ces secrets dont Halévy parlait, qui sont plus secrets que tous les autres, parce que tout le monde les connaît et personne ne les dit, et ce sont les seuls secrets du monde. Je veux parler de cette espèce de honte, et non pas tant peut-être de pudeur que de désespoir, et de cet affreux sentiment de responsabilité qu’il y a dans la paternité. C’est une si effrayante responsabilité, (et envers nous-mêmes et envers tout le monde), que d’avoir mis des enfants au monde. Quand on voit un peu ce que c’est que l’existence. Et quand on sait ce qui leur est ménagé. C’est un sentiment trouble, et honteux de soi, qui est d’une sorte de remords, qui n’est pas de regret, un arrière sentiment, mais dont on ne se débarrasse plus. On veut se rattraper alors, et par un besoin profond de compensation, et sans doute de se faire pardonner, on devient hardi, on devient courageux, tout reflue, le remords, la peine, l’antique et irrévocable déception. Et on ferait tout pour qu’au moins ces enfants ne soient pas malheureux.

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