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traire, Bergson montre en nous deux moi différents, dont l’un serait la projection extérieure de l’autre, sa représentation spatiale et sociale. Le moi véritable, fait de nos états intimes, nous les présente réfractaires à la mesure, sans cesse en voie de formation. Mais ce moi véritable est difficilement perçu par nous-mêmes ; nous nous en rendons maîtres seulement dans l’action libre, car il faut se replacer dans la pure durée pour qu’un acte échappe au déterminisme du monde de l’espace[1]. « Il est évident, dit Sorel, que nous jouissons de cette liberté, surtout quand nous faisons effort pour créer en nous un homme nouveau en vue de briser les cadres historiques qui nous enserrent[2]. » Puis il montre de quelle façon doit se représenter cette action libre. « Quand nous agissons librement, nous avons créé un monde tout artificiel placé en avant du présent, formé des mouvements qui dépendent de nous[3]. » La liberté devient alors parfaitement intelligible. Son premier acte, antécédent de tous les autres, est la création d’un monde artificiel. « Ces mondes artificiels disparaissent généralement de notre esprit sans laisser de souvenirs, mais quand des masses se passionnent, alors on peut décrire un tableau qui constitue un mythe social[4]. »

Un mythe est tout différent d’une utopie. Il est une expression de volonté qui condamne des activités individuelles. L’utopie est le produit d’un travail intellectuel : « elle est l’œuvre de théoriciens qui, après avoir observé et discuté les faits, cherchent à établir un modèle auquel on puisse comparer les sociétés existantes

  1. Georges Sorel. Réflexions sur la violence., Introd., p. xxxii. Cf. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience. Paris, 1881, pp. 173-176.
  2. Id., ibid.
  3. Id., ibid.
  4. Id., ibid.