Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/48

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reconnaître, il est non moins vrai que tous les autres membres de la profession, qui n’ont pas pris part à la lutte, sont très disposés à nommer le vainqueur, et les rivaux eux-mêmes, vivant en contact perpétuel avec les hommes de leur corps, se trouvent ainsi obligés de consacrer la victoire de leur rival, afin de ne pas s’entendre reprocher tes seuls sentiments qu’un homme n’avoue pas : la jalousie et le dépit. C’est par là, c’est par l’utilisation de ces moyens psychologiques (qui indiquent une profonde connaissance traditionnelle du cœur humain) que, dans la France classique, l’instinct de puissance est mis au service de l’intérêt social.

C’est un phénomène capital de l’ordre social français. Ce premier résultat acquis, l’ordre admirable que je rappelais tout l’heure se construit spontanément. Les hommes se soudent au corps et à la classe auquel ils appartiennent. Leurs passions fondamentales sont prises par leur métier, et c’est autant l’exercice de leur métier qui constitue leur plaisir que la possession de l’or qu’ils en retirent. Leur esprit de lutte vit au bénéfice de leur profession. Ils ont une âme professionnelle et leurs mœurs sont colorées par la vie qu’exige l’acquisition de la supériorité. Ainsi, une forte bourgeoisie, ardente au travail, et travaillant joyeusement, a-t-elle pu exister en France et assurer au pays son incontestable supériorité industrielle et commerciale, et former une classe probe qui a fourni à la nation des administrateurs éclairés.

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Observez maintenant cette bourgeoisie dans les conditions politiques que lui a faites la démocratie : tous les cadres sont brisés, les corps sont détruits, il