Page:Cahiers rationalistes - 1972 - n° 288-289 (extrait Hommage à Paul Langevin, La vie l’œuvre et l’action).djvu/27

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en Chine au moment de l'agression japonaise sur la Mandchourie en 1931, et avoir souffert avec le peuple chinois, j'ai été de ceux qui ont souffert de manière toujours plus aiguë avec l'Ethiopie, l'Espagne, l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Mais je compte parmi les heures les plus douloureuses de mon existence celles passées à lutter, au sein du CVIA, contre ceux, bien intentionnés pour la plupart, qui croyaient pouvoir en même temps combattre le fascisme dans notre pays et composer avec lui au dehors au nom d'un pacifisme aussi aveugle qu'intégral. Cet état d'esprit nous a valu le succès de Franco en Espagne et la honte de Munich »[1].

Plus qu'en toute autre peut-être, c'est dans cette lutte en faveur de la République espagnole que chaque coup l'atteignait, peut-on dire, en plein coeur. Tel soir, attendu pour dîner chez des intimes, il arriva sur le coup de 22 heures, profondément bouleversé d'avoir, avec Victor Basch, multiplié tout le jour les démarches pour tenter d'obtenir, par l'intermédiaire des instances internationales, des garanties de protection pour les populations civiles de Madrid, dont la chute était imminente. En Angleterre, où la menace hitlérienne ne se précisait que plus lentement, l'influence de Paul Langevin détermina la fondation d'un groupe d'abord attaché surtout à la « défense de la liberté intellectuelle », mais qui, ensuite, s'orienta davantage vers la défense contre le fascisme montant. Lors d'un des voyages qu'il fit à Londres en cette période, il eut un long entretien avec Winston Churchill, et réussit à convaincre l'illustre Premier de l'imminence du danger qui pesait sur les Alliés. Cependant, à ce rythme, son coeur commençait à donner des signes de faiblesse : cette tension continuelle, ces luttes délibérées certes, mais pour lesquelles il n'était point fait, commençaient de porter sérieusement atteinte à sa santé. Dans un tel climat, Paul Langevin trouve encore le moyen d'assumer la préparation attentive du Conseil Solvay en 1936 ; mais trop de savants se trouvaient déjà dispersés ou quasiment prisonniers dans les pays fascistes ; et, devant ces défections, on décide d'ajourner le Conseil à 1939. A cette date, le grand conflit était déjà déchaîné et Paul Langevin ne

  1. La Pensée et l'action, conférence du 10 mai 1946 éditée par l'Union française universitaire en 1947.