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JOURNÉE III, SCÈNE IV.

coupable ! Le ciel le sait bien que je meurs innocente !… Détournez, ah ! détournez ce fer de mon sein !… Arrêtez ! je ne suis point coupable ; je suis innocente ! — Comment ! Gutierre n’était-il pas ici tout à l’heure ?… Il m’a semblé pourtant que je le voyais, et il me plongeait sa dague dans le cœur, et je mourais baignée dans mon sang !… — Ah ! Dieu ! cet évanouissement n’a-t-il été qu’un essai de ma mort ?… — C’est ma lettre qui en est cause !… Il faut que je la déchire au plus tôt. — Mais qu’est-ce ? l’écriture de don Gutierre !… Qu’a-t-il donc à me dire ? — (Elle lit.) « L’amour t’adore, mais l’honneur te déteste ; c’est pourquoi celui-ci te tue et l’autre t’avertit. Tu n’as plus que deux heures à vivre ; tu es chrétienne, sauve ton âme. Pour ta vie, c’est impossible. » (Elle parle.) Que Dieu me soit en aide !… Holà, Jacinthe !… — Point de réponse ! — Holà, Jacinthe !… — La maison est déserte !… — Hélas ! on a fermé la porte !… Oh ! l’affreux tourment !… Ces fenêtres sont garnies de barreaux, et elles donnent sur un jardin ; on ne m’entendrait pas si j’appelais !… Ô ciel ! où irai-je ! Ô mon Dieu ! sauvez-moi !

Elle sort.

Scène IV.

Une rue, la nuit.
Entrent LE ROI et DON DIÈGUE.
le roi.

À la fin Henri est parti ?

don diègue.

Oui, Sire, il a quitté Séville à l’entrée de la nuit.

le roi.

En vérité, il se flattait, le présomptueux, que, seul au monde, il pourrait se jouer de moi impunément. — Et où va-t-il ?

don diègue.

À Consuegra, je présume.

le roi.

L’infant a sa maîtrise dans cette cité ; il y sera joint par mon autre frère, et ils essaieront tous deux de se venger de moi.

don diègue.

Non, sire ; j’espère bien qu’ils considéreront l’un et l’autre que vous êtes leur frère et leur roi, et qu’à ce double titre vous avez droit à leur obéissance.

le roi.

Le temps nous l’apprendra. — Henri emmène-t-il quelqu’un avec lui ?

don diègue.

Oui, sire, don Arias.

le roi.

C’est son grand confident.