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LA DÉVOTION À LA CROIX.

gil.

Ah ! Tirso, si je me plains, ce n’est pas de ce qu’il m’a fait mal.

tirso.

Alors, pourquoi te plains-tu ?

gil.

Pourquoi ?… parce qu’il a laissé Menga. Il emmena celle d’Antonio, quelques jours après nous la retrouvâmes un beau matin… et elle avait cent réaux que nous dépensâmes à une petite fête.

blas.

Bartolo épousa aussi Catalina, laquelle accoucha au bout de six mois de mariage, et il allait tout joyeux disant à tout le monde : « Voyez donc ! il faut neuf mois aux autres femmes, et il n’en a fallu que six à la mienne ! »

tirso.

Il n’y a pas d’honneur qui soit en sûreté avec lui.

curcio.

Le perfide ! l’infâme !… Est-il un malheur égal au mien ?… L’avoir laissé échapper !

menga.

Si vous voulez, nous autres femmes nous prendrons aussi les armes pour le détruire.

gil.

Il se tient ici, il n’y a pas à en douter. Toutes ces croix que vous voyez là, seigneur, rangées à la file, ce sont autant d’hommes qu’il a tués.

octavio.

C’est ici la partie la plus retirée de la montagne.

curcio, à part.

Et c’est ici, grand Dieu, que je fus témoin de ce miracle que fit le ciel en faveur de cette beauté innocente et chaste que j’avais tant de fois outragée de mes soupçons ! C’est ici que j’ai vu le plus inconcevable prodige !

octavio.

Seigneur, quelles sont les pensées qui vous troublent ainsi ?

curcio.

Ce sont de tristes souvenirs qui viennent m’assaillir, Octavio ; et mes chagrins, que je ne puis confier à personne, ne trouvent d’autre soulagement que mes larmes. — Octavio, fais que ces gens-là me laissent seul, car la situation de mon âme exige la solitude.

octavio, aux paysans.

Allons, mes amis, évacuons.

blas.

Que dites-vous ?

tirso.

Que voulez-vous ?