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JOURNÉE I, SCÈNE III.

isabelle.

Qui vous poursuit ? qui vous cherche ?


Entrent LE CAPITAINE et LE SERGENT.
le capitaine.

C’est moi qui veux tuer ce drôle ; et, vive Dieu ! si j’en croyais…

isabelle.

Modérez-vous, s’il vous plaît, seigneur, ne fût-ce que parce qu’il s’est réfugié auprès de moi. Les hommes tels que vous doivent leur protection aux femmes, non pour ce qu’elles sont individuellement, mais parce qu’elles sont femmes. C’en est assez pour vous, étant qui vous êtes.

le capitaine.

Un autre asile, quel qu’il fût, n’aurait pu le sauver de ma fureur ; votre rare beauté a seule ce pouvoir ; c’est à votre seule beauté que j’accorde sa vie. Mais considérez, madame, qu’il n’est pas bien à vous, dans cette circonstance, de donner la mort à un homme qui pour vous vient d’accorder la vie à un autre.

isabelle.

Seigneur cavalier, si votre courtoisie nous a imposé des obligations éternelles, vous en témoignez bientôt le regret. Je vous ai supplié d’épargner ce soldat ; mais veuillez laisser à ma reconnaissance le soin d’acquitter la dette que j’ai contractée envers vous.

le capitaine.

Madame, en vous voyant j’ai admiré votre beauté ; je vous écoute, et votre esprit me charme. Jamais, jusqu’à ce jour, on n’a vu réunis à ce point la beauté et l’esprit.


Entrent PEDRO CRESPO et JUAN, l’épée à la main, L’ÉTINCELLE les suit.
crespo.

Qu’est-ce donc, seigneur cavalier ? je craignais, je m’imaginais vous trouver prêt à tuer un homme, et tout au contraire…

isabelle, à part.

Que le ciel me protège !

crespo, continuant.

Je vous trouve disant des douceurs à une femme. Il faut que vous soyez certes d’un sang bien noble, pour que votre colère puisse s’apaiser si promptement !

le capitaine.

Celui à qui sa naissance impose des devoirs, est tenu d’y soumettre sa conduite ; et le respect que je dois à cette dame a fait taire ma fureur.

crespo.

Isabelle est ma fille ; et, seigneur, elle est une paysanne et non pas une dame.