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JOURNÉE III, SCÈNE I.

lisarda.

Quel est cet homme qui entre là ? Il me semble le reconnaître.

celia.

C’est le domestique du seigneur Fabio.

lisarda.

C’est lui sans doute qui l’aura prévenue que son maître était prisonnier en cette ville. J’ai à cœur de m’en assurer. Il n’a jamais vu mon visage ; en tenant ma mante…

celia.

Voulez-vous que je lui parle ?

lisarda.

Non, peu importe. — (À Camacho.) Comment entrez-vous ici sans plus de façon ?

camacho.

Je suis entré en marchant, mes belles dames ; si cela vous a déplu, je sortirai en marchant de la même façon. Je suis parti du pied droit, je repartirai du pied gauche. Et ainsi je m’en irai à peu près comme je suis venu.

lisarda.

Dites-moi, soldat, qui êtes-vous ?

camacho.

Si je le savais moi-même, ce serait certes peu de chose que de vous l’apprendre ; mais je ne puis vous le dire parce que je ne le sais pas. En maître que le ciel m’a donné me tient sous un tel charme, qu’à présent, l’unique chose que je sache de moi, c’est que je vais à travers les forêts d’amour, en guise d’écuyer errant, suivant un soleil qui a toujours la face voilée. Pour parler la langue vulgaire, je cherche ici la plus grande trompeuse et la plus grande inventeuse de l’Europe. Si l’une de vous deux est par hasard une dame que l’on tient prisonnière en ce palais, au nom de Dieu, qu’elle le dise ; car je suis venu ici en pèlerinage seulement pour la voir. Mon maître m’a rompu la tête de l’éloge de sa beauté, et je voudrais la voir pour qu’il me laisse tranquille à l’avenir.

celia, bas, à Lisarda.

Eh bien ! madame, l’astrologue a-t-il menti ?

lisarda, bas, à Celia.

Non, il cherche la prisonnière, et elle ne se croit pas prisonnière ici.

celia, de même.

C’est une idée bien subtile.

lisarda, de même.

Il est facile de voir.

camacho.

Eh bien, mesdames ?

lisarda.

Quoi ! votre maître vous la vante à ce point ?