JOURNÉE DEUXIÈME.
Scène I.
Oui, mon seigneur, je soutiens qu’il n’est rien tel pour un homme que de n’être pas lui-même et d’être un autre.
Pourquoi cela ?
Parce que toujours le bonheur d’autrui est ou nous paraît plus ou moins grand que le nôtre. Vous-même en êtes la preuve : malgré votre nom, qui est de si bon augure[1], la seule fois que vous êtes heureux, c’est un jour que vous êtes don César !… Le bel appartement ! les belles galeries ! les belles tentures ! les belles glaces ! les beaux secrétaires ! les beaux buffets ! les belles armoires ! le beau lit ! le beau linge ! les beaux dressoirs ! les belles livrées ! la bonne table ! les bons soupers ! les bons ragoûts ! et par-dessus tout, le bon vin !
Ah ! Tristan, dans cette hospitalité si charmante, tout ce que j’ai vu c’est une beauté farouche dont la présence et l’absence me font également mourir !
Cette beauté, pour moi, mon seigneur, c’est mon cheval, qui me faisait mourir quand je le voyais de trop près, et qui me fait mourir aussi maintenant que je ne le vois plus.
Faut-il qu’on ne puisse jamais causer avec toi sérieusement !
Une duègne s’était mis en tête d’élever une petite naine ; et un jour…
Tais-toi, de grâce, et ne t’avise plus de me conter tes histoires… sans quoi, vive Dieu ! je te casse la tête !
Quoi ! vous ne voulez plus de contes !
Non.
- ↑ Tristan dit mot à mot : « Car, bien que vous soyez Félix en langue vulgaire, vous ne l’êtes jamais en bon latin, si ce n’est aujourd’hui, etc., etc. » Il ne faut pas oublier que le mot latin felix signifie heureux.