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BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

tristan.

Vive Dieu ! cette coquine, cette drôlesse, qui vient ici sous le masque, si elle s’avise encore…

On entend de la musique.
don félix.

Tais-toi ; j’entends de la musique.

tristan.

En vérité, comme je le disais, nous sommes logés dans une forêt enchantée.

une voix, chantant.

« Si par hasard ma folie arrive jusqu’à vous, ayez-en pitié comme d’un malheur, et ne la repoussez pas comme venant de moi. »

don félix.

Ces paroles me plaisent.

tristan.

Il n’y a pas de quoi.

don félix.

Laisse ; on entre.

tristan.

Je ne comprends pas qu’on dise de laisser à qui l’on n’a pas donné[1].


Entre FLORA.
flora, à part.

Comme mon maître est sorti, ma maîtresse m’a envoyée reconnaître le camp ennemi, et voir ce que l’on pense de ma visite. Faisons semblant de m’en aller.

don félix.

Arrête-la, Tristan.

tristan.

Pourquoi vous en retourner si tôt, madame ?

flora.

Je croyais que vous étiez sorti avec mon maître, et je venais faire l’appartement. Mais puisque vous voilà, je m’en retourne.

don félix.

Vous êtes donc bien pressée ?

flora.

Si ma maîtresse savait que j’eusse causé une minute avec vous, elle serait furieuse et me tuerait.

don félix.

Il parait qu’elle est bien sévère ?

flora.

Auprès d’elle, Anaxarque ne serait qu’une fillette de Loreto[2].

  1. Le verbe quitar, en espagnol, signifie tout à la fois laisser et ôter. Il y a par conséquent ici, dans le texte, une grâce intraduisible.
  2. Anaxarque était un philosophe de la secte éléatique, d’un caractère plein de force et d’énergie.