Laissez-là ce sot, Flora ; et dites-moi, ne pourrais-je pas la voir ?
Mon Dieu ! je vous dirais bien de descendre comme par hasard au jardin, de vous approcher, en vous promenant, d’une fenêtre du rez-de-chaussée, dont les jalousies se trouvent cachées par un bouquet de jasmins, et de cette façon… Mais je n’ose vous donner un tel conseil.
Non ! non ! n’osez pas ; ce serait fort mal à vous.
Je vous remercie de l’avis. Et pour récompense, faute de mieux, prenez cette bague.
Une sur deux, ce n’est pas trop ; et ce n’est pas adroit que de manquer toujours la bague[1]. (Elle prend la bague.) Il n’y a pas de quoi, mon seigneur.
Non certes ; mais afin qu’il y ait de quoi…
Silence ! voilà qu’on recommence à chanter. Cela vous permettra d’approcher avec moins de risque.
Attends-moi là, Tristan. Ô amour ! ne me conduis pas en aveugle, dépouille-toi de ton bandeau !
Écoutez, ma reine.
Je n’y tiens pas beaucoup.
N’importe, écoutez ! — Un jour, un commissaire passait en revue des recrues…
À moi, un conte !… sur mon âme, il ne tardera pas à me le payer.
Et il dit à son commis de bien mettre l’œil[2] à ne pas emmener des estropiés ou des infirmes. Et comme un borgne passait, il dit : « Mettez bien l’œil à celui-ci. » Or un boiteux qui venait ensuite,
- ↑ Mot à mot : « Il court mal celui qui n’emporte jamais la bague. » Le jeu de bague était à cette époque fort répandu en Espagne.
- ↑ Au lieu de dire avoir l’œil à une chose, les Espagnols disent mettre l’œil (poner ojo). Nous avons été obligés de reproduire littéralement cette expression pour conserver le sel de la petite histoire de Tristan.