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JOURNÉE II, SCÈNE I.

l’ayant entendu, répliqua : « Puisque vous ordonnez qu’on mettre un œil au borgne, ordonnez qu’on me mette à moi une jambe. » Eh bien ! puisque vous aidez à voir à l’aveugle amour de mon maître, aidez au mien à marcher, puisque vous voyez de quel pied je boite.

flora.

Un Biscayen servait le curé d’un village où le boucher s’appelait David.

tristan, à part.

Elle me paye de la même monnaie.

flora.

Un jour, comme il allait prêcher, le curé l’envoya demander au boucher une fressure à crédit ; et au moment où le Biscayen revenait avec la réponse, il trouva le curé déjà en chaire, citant tous les prophètes, et s’écriant : « Que dit David ? » À quoi le Biscayen répondit de la porte : « Seigneur, il jure Dieu que si je ne lui porte pas d’argent, vous aurez beau dire et beau faire, vous n’aurez pas de fressure[1]. » Vous comprenez, n’est-il pas vrai ? Si celui qui ne paye pas ne mange pas, celui qui ne donne pas ne doit ni manger ni voir.

tristan.

Un jour qu’on avait promené par les rues une sorcière coiffée de la coroza[2], avant de lui rendre la liberté on lui fit payer un compte où il y avait tant pour le papier de la coroza, tant pour la colle, tant pour la couleur, tant pour la façon. Ce que voyant, la vieille : « Au moins, dit-elle, donnez-moi-la ; car par le temps qui court, une pauvre veuve ne peut pas acheter une coroza neuve. » Vous comprenez, n’est-il pas vrai ? Si, par le temps qui court, une coroza doit servir pour deux têtes, une bague doit servir pour deux.

flora.

Un homme, un jour, avait cassé la tête à sa femme ; et celle-ci, voyant ce que coûtait la maladie, disait, joyeuse, entre ses dents : « Il ne me cassera plus la tête à l’avenir » Or le mari, la voyant en santé, régla son compte avec le barbier[3] et l’apothicaire, et en les soldant paya double. Sur quoi : « Eh ! mon ami, lui dit-elle, ne vois-tu pas que tu te trompes ? — Non, ma belle, fit-il ; la moitié de cet argent, c’est pour aujourd’hui, et l’autre moitié, c’est pour la prochaine fois. C’est par prévoyance que je paye double. »

tristan.

Une duègne élevait une petite naine…

  1. Encore ici une plaisanterie intraduisible. En espagnol fressure se dit bofe ; et pour dire désirer une chose avec ardeur, on dit d’une façon proverbiale, echar el bofe.
  2. La coroza est un bonnet de forme pyramidale dont on coiffait en Espagne les criminels condamnés par l’Inquisition.
  3. On sait que les barbiers, en Espagne, faisaient les saignées et les opérations chirurgicales.