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JOURNÉE I, SCÈNE II.

celio.

Lequel ?

don louis.

La mort.

celio.

Eh ! seigneur…

don louis.

Oui, la mort, puisque Léonor s’est jouée de mon amour, puisque Léonor s’est mariée à un autre ! Et cependant il me reste encore au fond du cœur je ne sais quelle vague espérance. En parlant à son époux, elle s’excusait auprès de moi de son changement, de son oubli.

celio.

Quelles folies dites-vous là, seigneur ?… elle s’excusait avec vous ?

don louis.

Oui, il me semble l’entendre encore. Je n’ai pas perdu un seul mot. Écoute, et tu verras si ses paroles s’adressaient à moi. — « J’ai contracté cet engagement avant que de vous voir. Vivant ou mort, j’appartenais à vous seul. Je n’aimais que votre ombre ; mais c’était votre ombre, et cela me suffisait. Heureuse mille fois si je pouvais vous aimer ainsi que mon cœur s’en était flatté ! ma vie eût acquitté par là notre dette commune, malgré tous les périls. Mais lorsque, craintive et tremblante, je vous regarde, si je ne récompense pas un amour si généreux, voici mon excuse : — « Il faut vous plaindre de vous et non de moi ; car, bien que je vous aie choisi depuis longtemps pour époux, il est impossible que je vous aime autant que je le dois. » Oui, Celio, c’était à moi, à moi seul que ces paroles s’adressaient. Et puisqu’elle s’est excusée ainsi sur son inconstance, quand même ma folle espérance ne serait qu’un poison ou un poignard doré, peu m’importe !… Vive Dieu ! j’aime mieux que le plaisir me tue que la douleur, et au lieu de mourir de jalousie, j’aime mieux mourir d’amour… Que ma destinée s’accomplisse ! le but auquel j’aspire m’enhardit et m’enflamme ! Dût-il m’en coûter la vie, j’aimerai Léonor !