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À OUTRAGE SECRET VENGEANCE SECRÈTE

don louis.

Je suis de Castille, seigneur… Jaloux d’un cavalier qui rendait des soins à une dame que je servais, je l’ai provoqué en duel et l’ai tué… Exilé pour ce motif de mon pays, je me suis réfugié à Lisbonne… J’ai appris ce matin qu’un frère du mort, me sachant ici, y était venu dans l’intention de le venger traîtreusement… On ne m’avait pas trompe… Ce soir, tout-à-l’heure, je passais par cette rue, lorsque j’ai été assailli par trois hommes à la porte de cette maison… J’ai eu peur, je l’avoue, et pensant qu’il m’était impossible de soutenir le combat contre trois hommes armés, je me suis précipité ici et j’ai franchi l’escalier. Eux, soit qu’une nouvelle attaque leur ait paru dangereuse, soit qu’ils aient respecté cet asile, ils ne m’ont pas suivi… J’ai attendu dans cette salle qu’ils se fussent éloignés. Lorsque je n’ai plus entendu de bruit dans la rue, j’ai voulu descendre ; mais au moment où je sortais je me suis heurté contre un homme qui m’a crié : Qui va là ? Je me suis imaginé que c’étaient mes ennemis ; je n’ai pas répondu, et j’ai pénétré dans la chambre voisine. — Voilà, seigneur, pourquoi vous m’avez trouvé caché dans votre maison. — Et maintenant, seigneur, tuez-moi. Comme je vous ai dit la vérité, et que je ne veux pas que la vertu ait à souffrir de mon imprudence, je mourrai content… J’aime mieux périr victime d’un ressentiment honorable que d’une infâme vengeance.

don lope, à part.

À quelles incertitudes, à quelles anxiétés, à quelles craintes tout mon cœur est en proie !… Si cet homme m’inquiétait si vivement lorsqu’il se promenait dans ma rue, que sera-ce à présent que je l’ai trouvé caché dans ma maison, dans l’appartement de ma femme ? Assez, assez, pensée cruelle, ne me tourmente pas davantage ! Tout cela peut être vrai ; et quand même, ce n’est pas le moment d’éclater. — Sachons souffrir et nous taire. (À don Louis.) Cavalier castillan, je me félicite de ce que ma maison vous a servi d’asile contre une trahison. Si j’étais encore garçon, je me ferais un plaisir de vous y offrir l’hospitalité, car c’est le devoir d’un gentilhomme d’accueillir de nobles disgrâces ; mais, hors de là, je vous prie d’accepter mon assistance en toute occasion et de toute manière. Si l’épée d’un second vous est utile, comptez sur la mienne, et croyez qu’avec cette aide vous n’aurez pas besoin de tourner le dos à vos adversaires, quel que soit leur nombre. — Et maintenant, afin que vous puissiez sortir de ma maison en secret, nous nous en irons par le jardin, dont je vous ouvrirai moi-même la porte. Cette précaution, je le confesse, je ne la prends pas moins, dans mon intérêt que dans le vôtre. Je ne veux pas que mes valets, — car les valets sont toujours les ennemis de ceux qu’ils servent, — viennent à raconter que je vous ai trouvé ici, et m’obligent à satisfaire une curiosité importune. Quoiqu’il soit impossible