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JOURNÉE I, SCÈNE I.

alcouzcouz.

Grand merci ! moi avoir peur qu’en ouvrant l’alguazil me donner la bastonnade sur le ventre, et moi ne pas vouloir que le ventre d’Alcouzcouz reçoive des coups de bâton au lieu de couzcouz.

Il ouvre.
Entre DON JUAN MALEC.
malec.

Soyez sans crainte.

cadi.

Quoi ! c’est vous, seigneur don Juan ! vous dont l’illustre naissance vous a élevé au poste de xxiv de Grenade, malgré votre origine africaine, vous entrez ainsi dans ma maison !

malec.

Ce n’est pas sans de graves motifs que je viens chez vous ; qu’il me suffise de vous dire que ce sont mes disgrâces qui m’amènent.

cadi, bas, à Alcouzcouz.

Il vient sans doute nous reprendre.

alcouzcouz.

Alors moi content ! car moi aimer mieux que lui venir nous reprendre que nous prendre.

cadi.

Qu’y a-t-il pour votre service ?

malec.

Calmez-vous, mes amis. Remettez-vous du trouble qu’a excité mon arrivée en ce lieu. — Aujourd’hui, en entrant au conseil, nous avons reçu du président de Castille une lettre du roi Philippe II, contenant des ordres que la ville doit faire exécuter. Cette lettre ayant été ouverte, le secrétaire du conseil l’a lue à haute voix. Ce sont des dispositions contre les Morisques… Oh ! avec combien de raison on a comparé la fortune au temps ! car la fortune, comme le temps, va sans cesse du bien au mal sans s’arrêter jamais… Ce message du roi, outre les anciennes mesures que l’on avait prises contre vous, en prescrit de nouvelles plus dures encore que les autres. Ainsi aucun enfant de cette nation africaine qui autrefois mit l’Espagne sous le joug, aucun Morisque ne pourra célébrer vos fêtes, se vêtir de soie, aller dans les bains publics, ni parler la langue maternelle ; vous ne pourrez plus parler que le castillan. — Moi, comme le plus âgé, je devais opiner le premier. Je dis que s’il était juste et convenable d’abolir peu à peu la mémoire de nos coutumes africaines, il fallait cependant éviter de trop se hâter, et surtout, d’employer la violence, d’autant mieux qu’elle devenait inutile par la désuétude où tombaient nos anciens rites… Sur ce, don Juan, don Juan de Mendoce, celui qui est allié à la noble et illustre famille du marquis de Mondejar, dit aussitôt : Don Juan Malec ne peut pas avoir une opinion impartiale. La nature l’inspire en faveur de ses compatriotes. Voilà pourquoi il voudrait qu’on différât le