Venez chez moi. C’est maintenant votre avantage autant que le mien, que vous soyez caché dans ma maison.
Que de peines !
Que d’ennuis !
Ah ! Léonor, combien tu me coûtes !
Scène II.
Ne me dis rien, Inès ; tu ne fais qu’aigrir ma douleur.
Lorsque hier au soir nous avons eu le bonheur de faire sortir don Diègue et Ginès si doucement que personne ne s’en est aperçu, pourquoi donc vous affliger ainsi ?
Ma douleur doit te montrer ma passion. Que m’importe qu’ils soient sortis sans être vus de mon frère ni d’Isabelle, si, après leur départ, libre de crainte, je me suis trouvée en proie à la jalousie ? Inès, as-tu jamais vu pareille audace ? As-tu vu avec quelle fausse bonhomie, quelle feinte tristesse, don Diègue me vantait sa constance, à moi qui savais tous les dangers auxquels il s’était exposé à Madrid pour une autre femme ?
Il n’est pas là pour nous entendre, et, par conséquent, je puis prendre son parti. Que vouliez-vous donc, madame, je vous prie, que fît à Madrid, centre de la beauté, de l’élégance, de la grâce et de la parure, un jeune cavalier de bonne famille, fort amoureux, il est vrai, mais enfin qui se trouvait à plus de cinquante lieues de sa dame ? Il a suffisamment payé sa faute dans la maison de sa belle, puisque, sans être allé à Sarragosse, il est revenu la tête cassée[1]. Et c’est pourquoi, malgré vos dispositions à l’accuser, moi je trouve que l’absence le justifie.
Ma jalousie, Inès, n’est pas extravagante, et je sais que quand on aime véritablement un cavalier, il faut être indulgente sur les infidélités qui ne touchent pas à l’honneur. Aussi, à te dire vrai, je donnerais pour voir don Diègue se disculper… je ne sais ce que je donnerais. — Je suis folle ! je me meurs !
- ↑ Ce proverbe tire son origine de l’humeur querelleuse des Aragonais.