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JOURNÉE II, SCÈNE II.

je me dis que pour soumettre le monde vous n’auriez pas besoin de déployer toutes vos forces ; car il suffirait d’un seul de vos rayons et d’une seule de vos flèches.

la duchesse.

Je m’étonne doublement de ce langage, seigneur Henri : d’abord que vous osiez me le tenir, et ensuite que je puisse l’entendre. Retirez-vous de ma présence. Si le duc vous a envoyé à ma cour, ce n’a pas été pour que vous manquiez à lui-même et à moi.

henri.

Je ne croyais pas vous manquer, madame ; et pour le duc, je suis sûr de ne lui avoir pas manqué ; car il éprouve tous les sentiments que je vous exprime.

la duchesse.

On a vu souvent se marier, mais jamais aimer par procuration. Et alors même que j’admettrais votre excuse, et que vous me parleriez pour lui, ne vous ai-je pas averti de ne me parler à ce sujet que quand je vous en parlerais moi même ?

henri.

Oui, madame ; mais parmi les conditions vous n’avez pas mis celle que vous ne m’en parleriez jamais, et que par conséquent je devais toujours me taire.

la duchesse.

Eh bien ! s’il faut absolument que je vous parle, seigneur Henri, ce sera aujourd’hui même ; et ce sera pour vous dire, puisque vous m’avez comparée au soleil, que le duc serait bien imprudent de vouloir affronter le soleil avec des ailes de cire ; et je vous engage de nouveau à vous retirer, sans quoi ma colère répondrait d’une autre façon au duc et à vous.

henri.

Je vous obéis, madame, dans la crainte d’un châtiment plus grand ; si toutefois il peut y avoir quelque chose de plus triste que de s’éloigner de votre beauté. (À part.) Hélas ! je me meurs !

Il sort.
la duchesse.

Cet excès d’audace me donne beaucoup à penser… Amour, laisse-moi tranquille un moment pour que je puisse réfléchir… Mais qui a pénétré jusqu’ici ?


Entre FABIO.
fabio.

C’est moi, madame la duchesse, qui viens furieux vous conter toute sorte de choses. Oui, j’enrage de voir que tout n’est que bavardage au palais, et que votre altesse elle-même bavarde.

la duchesse.

Que voulez-vous me dire en ce moment ?

fabio.

Et vous, madame, pourquoi l’avez-vous dit tout à l’heure ?