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LOUIS PEREZ DE GALICE.

langage. Il faut que tu sois bien hardi et bien insensé tout à la fois pour oser m’insulter ! Je croyais avoir en toi un frère et non un ennemi.

louis.

Oui, tu dis bien… un ennemi ! car quelque jour, sans doute, il pourra se faire que ce poignard que tu vois, teint dans ton sang qui est aussi le mien, me venge de ton outrage.

pedro, à part.

Pendant que, suivant l’usage, celle qui est venue mettre la paix a détourné l’orage sur elle, tâchons de nous esquiver. Avec ce diable d’homme qui joue des mains si lestement, je n’ai qu’un moyen de salut, c’est de jouer des pieds[1]. Adieu, chère patrie ; il le faut, je renonce pour jamais à te revoir.

louis.

Holà ! Pedro, écoute — Puisque tu pars plus heureux que tu ne le mérites, fais bien attention à te garer de moi, car si la fortune veut que je te rencontre, fût-ce dans un millier d’années, fût-ce au bout du monde, tu passeras un mauvais moment.

pedro.

Je vous entends et je vous crois. Je n’appelle pas de votre sentence, je l’accepte ; et quant à son exécution, puisque vous me permettez de vivre, j’irais, si vous l’exigiez, jusqu’au pays des Pygmées. Et, en vérité, un malheureux fils d’Ève ne saurait se faire trop petit pour se soustraire à votre colère.

Il sort.
isabelle.

Le voila parti. Nous sommes seuls. Tu m’apprendras maintenant quelle est la cause de tes ennuis.

louis.

Ma sœur, — et plût à Dieu que tu ne le fusses pas, plût à Dieu que la nature n’eût pas mis ce lien entre nous ! — tu penses peut-être que c’est par faiblesse que j’ai vu et dissimulé, que j’ai appris et que j’ai su taire l’audace d’un amant qui prétend non-seulement souiller ton honneur, mais l’honneur de nos ancêtres ? Eh bien ! Isabelle, si j’ai supporté un tel outrage, ce n’a été de ma part ni sottise ni lâcheté, mais bien plutôt sagesse et prudence ; et j’ai mis dans ma conduite toute la circonspection possible, parce que c’est bien assez d’avoir à s’occuper une fois de choses délicates qui touchent à l’honneur ; et puisque l’occasion s’en présente, je t’en parlerai aujourd’hui pour la première et la dernière fois. — Je sais tout, je t’en avertis ; et si tu ne tiens pas compte de cet avertissement, demain je

  1. Il y a ici dans le texte un jeu de mots intraduisible et que nous avons reproduit de notre mieux.

    Seguro resistiré
    Con fuga de guardapie
    La daga de guardamano