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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

don mendo.

Je vais à Saragosse, où, si je ne m’abuse, il pourra se faire que je reconnaisse quelque jour la générosité de votre conduite.

don lope.

Qui donc êtes-vous ?

don mendo.

Je me nomme don Mendo Torrellas. J’ai passé de longues années en France, à Rome et à Naples, pour le service du roi don Pèdre d’Aragon. Sur son ordre, je retourne maintenant à la cour, pour lui consacrer ma vie dans le poste qu’il voudra bien me confier ; et là, — je vous en donne ma parole, — si c’est à la suite de quelque étourderie de jeunesse que vous vous êtes décidé à mener cette existence, je vous servirai de protecteur et de caution. En récompense de mes services je demanderai votre pardon. Je montrerai ainsi au monde la reconnaissance d’une âme qui vous doit l’honneur et la vie.

don lope.

J’accepterais cette offre si je pouvais espérer pour mes folies le pardon que vous m’annoncez ; mais, bien que je n’aie aucune bassesse à me reprocher, j’ai été deux ou trois fois condamné à mort pour mes déportements ; et en conséquence j’en suis venu là que je me laisse vivre sans nul espoir, en commettant chaque jour de nouvelles fautes. Tel est enfin mon malheur, que, pour échapper au châtiment réservé à mes délits passés, je n’ai plus de ressource que dans d’autres délits.

don mendo.

Ne perdez pas ainsi toute confiance dans l’avenir ; croyez à ma parole… tôt ou tard, j’en suis sûr, j’obtiendrai votre pardon. Oui, je veux faire voir au monde que je fais passer la reconnaissance avant l’intérêt de ma grandeur. Mais dites-moi, jeune homme, qui vous êtes ; car je ne demanderai pour moi-même aucune faveur au roi que je n’aie amélioré votre sort.

don lope.

Bien que je sois convaincu d’avance du peu de succès de vos bonnes intentions, veuillez m’écouter. — (Aux Brigands.) Vous tous, retirez-vous ! (Les Brigands sortent.) — Tel que vous me voyez, généreux don Mendo, je suis don Lope de Urrèa, fils de Lope de Urrèa. Plût à Dieu que ma conduite eût été aussi distinguée, aussi noble que ma naissance !

don mendo.

Vous dites vrai, je pourrais au besoin l’attester, car j’ai été autrefois l’ami de don Lope ; et par cette considération je me regarde comme obligé plus étroitement encore à faire pour vous tout ce qui sera en mon pouvoir.