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JOURNÉE I, SCÈNE II.

constituer non pas seulement la dot qu’elle demandait, mais une rente annuelle ; c’est au point qu’aujourd’hui même j’ai abandonné l’appartement que j’occupais dans ma maison, et que j’y ai pris le logement le plus modeste, en laissant le mien à don Mendo Torrellas, afin de pouvoir remplir mon engagement. Donc, prosterné à vos pieds, je vous conjure mille et mille fois, puisque la partie adverse s’est désistée, et qu’il n’a plus contre lui que votre royal pouvoir, de daigner pardonner à mon fils. Ce pardon, seigneur, j’ose le dire, il le mérite, non pas par lui-même, non pas par moi sans doute, mais par ses nobles aïeux, qui tous vous le demandent ici en récompense de leurs belles actions. Parcourez en souvenir notre histoire, seigneur, et vous verrez mille héros de ma race à qui vous devez toute sorte d’honneur et de gloire. Ayez aussi pitié de mes cheveux blancs, de mes prières, de mes larmes ; et si les larmes d’un malheureux père sont impuissantes à toucher votre cœur, ayez pitié d’une dame principale, mère infortunée qui se meurt de chagrin et de douleur. Étant celui que vous êtes, sire, accordez-moi cette grâce.

le roi.

Adressez-vous au grand justicier d’Aragon.

urrèa.

Hélas ! je le vois, mon malheur n’est que trop certain, puisque, quand je vous demande une grâce, vous me renvoyez à la justice.

le roi.

Eh quoi ! lorsqu’elle est chargée de la poursuite des crimes, n’est-ce pas à elle que revient naturellement la remise des peines ?

urrèa.

J’en conviens, sire ; mais la charge de grand justicier d’Aragon est vacante ; elle est vacante depuis la mort de don Ramon.

le roi.

Je lui ai donné un successeur ; on le connaîtra aujourd’hui même.

urrèa.

Que mes soupirs et mes larmes vous doivent une si grande faveur !

le roi, à part.

Ô douleur d’un père ! quel est le cœur que tu ne serais capable d’attendrir !

Il sort.
urrèa.

Telles sont les obligations d’un homme noble et honorable, qu’il fait beaucoup choses pour l’opinion publique, sans y être porté par un pur amour paternel. Je ne dis pas que je n’aime point don Lope ; mais, dans le vrai, j’aurais fait cette démarche plus volontiers, j’aurais plaidé sa cause avec plus de chaleur si j’avais cru le devoir à son affection pour moi. J’ai cédé au désir de doña Blanca ; car, bien qu’elle ne le croie pas, elle m’est si chère que pour elle je me donnerais la mort avec joie… Mais quel