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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

béatrix.

Que dis-tu là ? Quelle folie !

vicente.

Point du tout. Elle l’avait près d’elle.

béatrix.

Elle est donc chauve ?

vicente.

Comme ma main. Et de plus, comme je l’ai vue sans dents, j’ai regardé, et j’ai vu son râtelier à côté de sa perruque.

béatrix.

Eh quoi ! cette femme, qui est toute jeune encore, a un faux râtelier ?

vicente.

Oui, sans compter mille autres défauts dont je me tais, car ce n’est pas la coutume des hommes de ma sorte de mal parler des femmes, et je ne veux pas empêcher une gentille demoiselle de dissimuler les petits défauts de sa personne. — Mais voilà mon maître qui revient de ce côté, après avoir mis don Mendo dans son carrosse.

béatrix.

Eh bien, adieu, je te laisse. (À part.) Aurait-on jamais soupçonné que cette jeune fille eût de pareils défauts ! On a bien raison de dire que la nuit est l’épreuve de la beauté.

Elle sort.


Entre DON LOPE.
don lope.

Dis-moi, Vicente, as-tu été assez heureux pour apercevoir à sa fenêtre doña Violante ?

vicente.

Non. seigneur. Et quand même je l’aurais aperçue, il m’eût été, je crois, difficile de la reconnaître.

don lope.

Pourquoi cela ?

vicente.

C’est que je ne me souviens que de ce qui me regarde personnellement : je n’ai pas de mémoire pour les autres.

don lope.

Est-il possible que tu aies pu oublier cette beauté qui défaisait en ta présence les tresses de ses beaux cheveux ! tu n’as pas remarqué que tout au rebours de ce que l’on voit habituellement, des perles qui roulent sur un sable doré, — ici ses cheveux blonds se déroulaient sur son cou de neige, comme un fleuve doré sur un sable de perles ? Eh quoi ! ne t’en souvient-il plus ?

vicente.

Non, seigneur, il ne m’en souvient nullement, et même, à vrai dire, je ne voudrais pas m’en souvenir. J’aime mieux me rappeler