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JOURNÉE II, SCÈNE I.

béatrix.

Oui, un baiser fait exprès pour toi ?

vicente.

Ah ! Béatrix, que tu me causes de soucis !

béatrix.

Oui, c’est bon à dire ! mais je ne le crois guère, lorsqu’il y a vingt siècles que mon amour t’attend, et que tu n’es pas venu me voir une seule fois.

vicente.

Comment donc ? Tu ne sais donc pas que mon maître et moi nous sommes venus une de ces dernières nuits, et que nous sommes entrés comme chez nous dans l’appartement de don Mendo, où nous nous sommes rencontrés face à face avec doña Violante, qui ôtait ses coiffes, et qu’alors il y a eu, « Arrête, écoute, fantôme, illusion, » et tout cela accompagné d’une pâmoison qui m’a ravi ?

béatrix.

Tais-toi, imbécile, laisse là toutes ces bribes de roman.

vicente.

Plût à Dieu, Béatrix, que cela ne fût pas aussi vrai ! mais ce n’est pas un roman ni une nouvelle, le dis-je, c’est de l’histoire, et pas ancienne[1]. Tant y a que mon maître ne me laisse plus ni dormir ni manger, me demandant à chaque instant mon avis sur ce point, à savoir si la dame est plus belle, plus agréable, plus charmante, les cheveux bien arrangés que les cheveux épars.

béatrix.

C’est à cela qu’il songe à présent ?

vicente.

Sans doute. Quel mal y vois-tu ?

béatrix.

Que ton maître ayant au cœur cet amour, tu lui serviras de coureur et de rapporteur, tu ne feras qu’aller et venir, et comme Elvire est, à ce qu’il m’a paru, la femme de confiance de la dame, je suis sûre qu’elle ne perdra pas ses droits.

vicente.

Ah ! Béatrix, si tu savais ce que je pense de la beauté de cet Elvire, combien tu en serais peu jalouse !

béatrix.

Pourquoi cela ?

vicente.

C’est une créature qui à peine la forme humaine. Elle était là le soir en question, et comme il était déjà fort tard, et qu’elle n’attendait plus de visite elle avait quitté sa perruque.

  1. Il y a ici un jeu de mots intraduisible :

    ....Que no es
    Novela, sino si-vela.