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JOURNÉE I, SCÈNE II.

dans le plus grand péril, ne peut fuir que l’espace de quelques pas. — Ô terre chérie ! tout ce que je souhaite, c’est de ne pas mourir dans l’eau… et de ne mourir sur terre que le plus tard possible.

don henri.

Quoi ! vous daignez écouter ce fou ?

don fernand.

Êtes-vous donc plus raisonnable vous qui vous abandonnez sans motif et sans consolation à je ne sais quelle vaine mélancolie ?

don henri.

Mon cœur est plein d’inquiétudes ; il me semble que le sort s’est déclaré contre moi ; et depuis que nous avons quitté Lisbonne, je n’ai vu que des images de mort. À peine étions-nous partis, que le soleil lui-même, s’enveloppant de noirs nuages, nous a dérobé sa face, et que l’Océan irrité a dispersé notre flotte par d’horribles tempêtes. Si je regarde la mer, j’aperçois mille fantômes : si je tourne mes regards vers le ciel, son voile d’azur me parait taché de sang. Je ne vois dans l’air que des oiseaux de nuit, et la terre n’offre à mes yeux qu’un sépulcre où, dès le premier pas, je chancelle et tombe.

don fernand.

Laissez mon amitié interprêter autrement ce qui cause votre tristesse. — Si la tempête a abimé un de nos vaisseaux, c’est un signe que nous avons plus de soldats qu’il n’en faut pour mener à fin notre entreprise. — Le ciel se couvre d’un voile écarlate : il s’embellit pour nous faire fête. — Nous avons aperçu dans les ondes des monstres marins et dans les airs des oiseaux sinistres : mais ce n’est point nous qui les avons amenés dans ces lieux, et s’ils habitaient avant nous cette contrée, n’est-ce pas un signe qu’ils la menacent de quelque malheur ? Ces vils augures, ces vaines terreurs ne peuvent être redoutables que pour les Mores qui y croient, et non pour les chrétiens qui n’y ajoutent aucune foi. Nous sommes tous deux chrétiens ; et lorsque nous avons entrepris cette guerre, ce n’a pas été par amour de la gloire, ni afin que des yeux humains puissent lire nos exploits dans des livres immortels. Nous sommes venus pour étendre la foi de Dieu : à lui seul sera l’honneur, à lui la gloire, si le succès couronne nos travaux ! Certes, de faibles mortels doivent craindre ses châtiments ; mais il ne leur donne pas de semblables avertissements. Nous venons pour le servir, non pour l’offenser ; et puisque nous sommes chrétiens, nous devons en chrétiens penser et agir. — Mais voici don Juan.


Entre DON JUAN.
don juan.

Seigneur, en m’approchant de la ville pour exécuter vos ordres, j’ai vu sur le penchant de cette montagne une troupe de cavaliers qui viennent de Fez et se dirigent vers nous. Ils s’avancent si rapi-