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JOURNÉE II, SCÈNE II.

don fernand.

Il m’abhorre.

fénix.

Un seul jour a donc suffi pour séparer vos étoiles, qui paraissaient unies à jamais ?

don fernand.

Ces fleurs viennent à propos pour vous désabuser. — Elles étaient la pompe et la joie du jardin lorsque, brillantes, elles se sont réveillées aux premières lueurs de l’aube matinale ; et le soir elles ne se montrent plus à nos yeux que comme un vague regret, ensevelies dans le sein de la froide nuit… Ces couleurs si vives qui défient l’éclat du ciel, où l’or, la neige et l’écarlate brillent à l’envi, bientôt elles seront flétries et fanées, tant il s’opère de modifications aux choses dans le rapide espace d’un jour ! Les roses du matin se sont hâtées de fleurir, et elles n’ont fleuri que pour mourir plus vite. Le même calice a été et leur berceau et leur tombeau… Telles sont les fortunes de l’homme : il naît et meurt en un jour ; car un siècle écoulé n’est qu’un instant[1].

fénix.

J’éprouve en ta présence je ne sais quelle crainte. Je ne puis ni te voir, ni l’entendre. Tu seras le premier malheureux qu’un autre infortuné aura fui.

don fernand.

Et les fleurs ?

fénix.

Elles étaient pour toi l’emblème de ta mauvaise fortune… Je veux les effeuiller et en disperser les débris.

don fernand.

En quoi sont-elles coupables ?

fénix.

Elles ressemblent aux étoiles.

don fernand.

Celles-ci vous déplaisent donc ?

fénix.

Malgré leur éclat, je n’en aime aucune.

don fernand.

Pourquoi cela ?

fénix.

La femme naît sujette à la mort et au destin ; et j’ai vu mes jours comptés dans ces étoiles importunes.

don fernand.

Ces fleurs sont des étoiles ?

fénix.

Sans doute.

  1. Dans l’original, ce couplet, sauf la première phrase, forme un sonnet.