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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

sa bienveillance, la reine vous aime et vous protége ; j’ai fait pour vous ce que j’ai pu. Maintenant, vous, faites votre devoir.

anne.

En vérité, si vous n’étiez mon père, je trouverais plaisants vos conseils, qui sont toujours hors de propos. Où donc est le trône que vous m’avez donné ? de quelle couronne éclatante avez-vous ceint mon front, pour que vous puissiez vous vanter d’avoir procuré ma grandeur ?… J’ai eu la faveur insigne de me prosterner aux pieds d’une femme… Quelle gloire ! et quel triomphe !… moi, ployer le genou ! moi d’un air joyeux baiser la main de la reine alors même qu’elle verrait quatre royaumes obéir à son sceptre !… Ah ! vous eussiez mieux fait de me conduire au fond des bois, où du moins j’aurais régné sur les animaux sauvages. Mieux valait pour moi le plus affreux désert que cet esclavage de la cour, où tout excite mon envie sans que je sois un objet d’envie pour personne… Mais non, me voilà, dites-vous, arrivée à la fortune. Eh bien ! je servirai. Qu’importe, puisqu’il vous plaît ainsi.

boleyn.

J’ai toujours redouté pour vous votre caractère hautain. Mais, avec l’esprit que vous avez, apprenez à vous vaincre. Vous avez sous les yeux la reine la plus vertueuse et la plus sainte : regardez-vous dans ce précieux miroir, et réglez sur elle vos pensées… Pour moi, je vous le répète, j’ai fait ce que j’ai pu ; à vous maintenant de vous bien conduire. — Il est un Dieu, et j’ai beau être votre père, il peut arriver qu’à ma fille je préfère l’honneur, et sa mort à sa vie.

Il sort.


Entrent CHARLES et DENIS.
charles.

La voilà seule.

denis.

Avancez donc.

charles.

Puis-je vous parler dans le palais ? puis-je, sans manquer au respect que je dois à ces lieux, — vous dire, ô ma dame bien-aimée, les soupirs et les larmes que m’a coûtés notre séparation ? — Loin de vous, loin de vos yeux qui m’éclairent, semblable à cette fleur qui porte le nom du soleil et qui l’a vu disparaître, je languis, je dessèche et meurs. Mais près de vous, comme l’héliotrope devant l’astre qui est tout pour lui, je me sens de nouveau renaître et vivre.

anne.

Et moi, noble Charles, — malgré le respect que me commandent ces lieux, — je vous le dirai : je suis près de vous comme cette flamme docile qu’un souffle éteint et qu’un souffle rallume. Vous me parlez, vous respirez près de moi, et aussitôt je sens revenir ma vie et mon âme.