Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
LE SCHISME D’ANGLETERRE.

non-seulement à éviter, mais à combattre l’erreur, je n’irais pas, on peut en être certain, soulever dans la chrétienté de nouveaux sujets de perturbation. Bien au contraire, pour enlever tout prétexte aux hérétiques, ennemis de la foi, je vous ai convoqués en parlement dans l’unique but de rassurer ma conscience. — Veuillez tous m’écouter. — Votre reine Catherine, — hélas ! à ce nom je me sens attendri et mes yeux se remplissent de larmes, — ce modèle de vertu, que j’aime de toute mon âme, — oui, je m’estime plus heureux du titre de son époux que d’être roi de deux royaumes. — Catherine, personne ne l’ignore, avait été précédemment la femme de mon frère. C’est pourquoi son mariage avec moi ne saurait être valide ; et voyant que je ne suis point légitimement marié avec elle, je rends la liberté à ma conscience. Le ciel m’en est témoin, je ne me sépare d’elle qu’avec une vive douleur. Mais il le faut ; et pour accomplir mon devoir, je lui reprends une couronne et un sceptre qui ne lui appartiennent pas. De la sorte je me conduis en roi chrétien puisque je dépose une femme, une sainte qui m’est plus chère que moi-même… Dieu sait ce qu’il m’en coûte, mais il m’a commandé cet acte, et je lui obéis. — L’infante doña Marie, vert rameau de ce noble tronc, assure ma succession ; et bien qu’issue d’un mariage dissout, elle demeure princesse, et je la reconnais solennellement pour ma fille et mon héritière. — Et vous, Catherine, allez, allez en un lieu où vous pleuriez votre fortune, et où vous deveniez l’étonnement et le désespoir de l’envie ; allez, soit en Espagne auprès de l’empereur Charles-Quint, votre neveu ; ou bien dans un couvent, seul séjour qui convienne à vos mœurs et à votre piété. Pour moi, qui sens profondément le chagrin que vous pouvez éprouver, je renonce à vous voir… votre vue serait trop pénible à mon cœur. Et si par aventure quelqu’un de mes vassaux osait s’élever contre un tel acte, il encourrait ma colère et payerait de sa tête tant d’audace.

la reine.

Daignez, sire, m’écouter… si toutefois mes sanglots me permettent de prononcer quelques paroles… Mon Henri, mon roi, mon seigneur, mon maître, mon époux bien aimé, — car je veux encore vous donner ce nom dans lequel j’adore un sacrement, — ce qui m’afflige, ce n’est pas d’être exilée du trône, ce n’est pas de voir dépouiller mon front de la couronne et de voir briser le sceptre en ma main ; je laisse à l’ambition à regretter ces vains trophées que la mort tôt ou tard nous enlève : mais je m’afflige de me voir dans votre disgrâce, de songer que je suis pour vous un sujet d’ennui, et de vous avoir disposé, — je ne sais comment, — à une aussi rigoureuse extrémité. Et si vous n’êtes pas convaincu de la sincérité de mon langage, mettez-moi dans une obscure prison où mes jeux ne puissent apercevoir la douce lumière du ciel, faites-moi conduire au fond d’une forêt où je n’aie pour compagnie que les animaux sauvages, ou bien encore au milieu des mers sur un rocher dé-