Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
JOURNÉE I, SCÈNE I.

la duchesse.

Allez.

fabio.

Adieu, madame.

Il sort.
la duchesse.

Ô ma folle pensée ! quel tyrannique empire tu exerces sur moi, puisque tu as pu m’enlever ma volonté et mon libre arbitre ! Eh quoi ! j’aurais si peu de confiance en moi, que je doive me laisser abattre à la moindre crainte ? Non, non ! je me conduirai d’une manière digne de mon courage et digne de moi-même. Mais, hélas ! je ne puis me taire avec ma jalousie, et c’est déjà bien assez que je puisse me taire avec mon amour !… Quelle incertitude ! et quel tourment ! Cette nuit même, tandis que je souffrirai mille supplices, eux, ils s’abandonneront à la joie, au bonheur ! Non, cela ne sera pas… qu’ils se voient tant que je n’en saurai rien, j’y consens ; mais avertie de leurs rendez-vous, je ne me pardonnerais pas de ne pas les empêcher. Pitié, pitié, ô ciel ! car, hélas ! je ne puis me taire avec ma jalousie, et c’est déjà bien assez que je puisse me taire avec mon amour ! Au moyen de cette lettre que j’avais écrite dans un autre but… Il vient ; efforçons-nous de dissimuler ce que je souffre.


Entre FRÉDÉRIC, portant tout ce qu’il faut pour écrire.
frédéric.

Voici des lettres, noble madame, que je viens présenter à la signature de votre altesse.

la duchesse, à part.

Courage, esprit, grandeur d’âme, en ce moment tout m’est nécessaire. (Haut.) Mettez ces lettres de côté, Frédéric, je les signerai plus tard. Il faut d’abord que vous me serviez en une autre chose qui est pour moi d’une plus grande importance.

frédéric.

Qu’est-ce, madame ?

la duchesse.

Je désirerais que, cette nuit même, vous fissiez un petit voyage.

frédéric.

Cette nuit même ?

la duchesse.

Oui.

frédéric, à part.

Quel ennui !

la duchesse.

Voici la lettre que vous voudrez bien porter.

frédéric.

Vous savez, madame, avec quel empressement et quel zèle je suis toujours prêt à m’employer pour votre service. Il me semble