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LE SECRET À HAUTE VOIX.

fabio.

Eh bien ! dans ce cas, contez-la-moi, vous, madame, et je vous rends votre chaine… En effet, sans se confier à personne, il rit tout seul, et tout seul il pleure. S’il reçoit une lettre, on ne voit pas qui la lui donne ; et s’il y répond, on ne sait pas où elle va. C’est aujourd’hui que j’en ai le plus appris sur son amour ; car en achevant de lire une lettre que Barabbas en personne doit lui avoir remise, il a dit qu’une beauté divine l’attendait cette nuit pour lui parler.

la duchesse.

Quoi ! il doit cette nuit parler à sa dame ?

fabio.

Oui, si l’amour n’arrange pas les choses de manière à leur faire perdre la parole.

la duchesse, à part.

Quel tourment ! je me meurs. (Haut.) Tu dois au moins savoir la maison, la rue de cette dame ?

fabio.

Pour cela, oui ; elle demeure au palais.

la duchesse.

Comment le sais-tu ?

fabio.

Je le sais par induction. Il aime sans inconstance, il adore sans espoir, il courtise sans désir, il jouit sans emploi, enfin, nuit et jour il écrit sur un immense portefeuille : or, toutes ces folies-là, ne sont-ce pas des folies qu’on ne voit qu’au palais ?

la duchesse.

Eh bien ! écoutez mes ordres. Vous mettrez tous vos soins à vous assurer quelle est sa dame ; à partir d’aujourd’hui, vous observerez de votre mieux sa conduite ; et si vous y remarquez quelque chose de nouveau, en toute occasion, venez me trouver. Dès ce moment, je vous autorise à vous présenter devant moi quand vous voudrez.

fabio.

Grâce à cette faveur, je deviens ce qu’on appelle, si je ne me trompe, gentilhomme du plaisir[1].

la duchesse.

Et afin que vous n’ignoriez jamais d’où pourront vous venir le profit ou le dommage, attendez de moi tout profit, Fabio, si vous me servez bien, et tout dommage également, si vous vous avisez jamais de révéler à qui que ce soit notre conversation.

fabio.

Croyez bien, madame, que je serai le plus muet des curieux, s’il y a des curieux qui soient muets.

  1. Gentil-hombre de placer
    Se llama, etc.