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À M. Lucien Douay.
Le 28 Décembre 1915
Cher Lucien,

Votre bonne lettre m’est arrivée comme j’arrivais de permission. Je ne veux point tarder à vous remercier de toutes les gentilles choses que vous y aviez mises pour moi. J’ai espéré, un moment, pouvoir vous joindre à mon passage à Paris ; mais c’était un matin de pluie torrentielle et je ne savais guère où vous aller chercher. Du reste je n’ai pas eu le temps de faire de visites.

Eh oui, je suis retourné vers les villages, après quatre mois. J’ai passé huit jours dans cette région mystérieuse que nous dénommons, d’ici, « l’arrière. » D’étranges habitants, ornent ces contrées. Ils ont bâti leurs gourbis à même le sol, sans creuser ; ils ne font point usage de tranchées ni de boyaux ; il n’y a pas de petits postes devant les fermes. Le fil de fer barbelé, ils ne l’emploient que dans des proportions ridicules ; ils ne comprennent pas la nécessité des feuillées ! Ces peuples arriérés, la nuit, couchent en des lits faits d’étoffes et de plumes, où l’on a mille peines à s’endormir ; ils omettent régulièrement, chaque soir, d’accomplir le rite traditionnel chez nous, et qui est de suspendre le pain avec un fil de fer au plafond de la cagna ; ils ne donnent point le sou réglementaire au poilu qui leur rapporte un rat mort… Ces mœurs inacceptables m’ont dégoûté très vite et j’ai abandonné à leur triste sort les naturels de ce pays, leur prédisant, s’ils continuaient, les pires catastrophes. Ils n’ont point paru me comprendre…

Lucien, j’ai revu le visage de ma Patrie, triste sous le ciel gris de l’hiver. Les deuils en avaient assombri encore les beaux traits et si j’avais pu l’aimer avec plus de passion que jadis, c’est maintenant que cela serait venu. J’ai revu les côtes hautaines, les ports et les îles, — mon île. Qui