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LECONTE DE LISLE


ET SES AMIS

 




I



Le premier souvenir que me rappelle Leconte de Lisle me reporte à mon temps de collège. J’étais presque un enfant encore, quand je ne sais quelle inspiration me fit entreprendre un poème à la gloire de Jeanne d’Arc ; j’en avais écrit cent vers et, les jugeant excellents, je m’étais empressé de les soumettre à l’un de mes oncles que je considérais comme le bel esprit de la famille. Mon oncle habitait le premier étage de la maison qu’il possédait rue Cassette et, pour toute réponse à ma communication poétique, il se contenta de me faire lever les yeux vers les fenêtres d’un quatrième au fond de la cour.

Il m’expliqua que derrière ces fenêtres demeurait un poète qui ne manquait pas de talent, mais qui s’obstinait à vouloir vivre de ce talent, ce qui le conduisait à vivre de misère en payant péniblement un loyer très modeste. Je fus peu touché par cet argument de propriétaire. Il me parut au contraire que, derrière ces fenêtres, quelque chose d’héroïque et de saint devait se passer, et je gardai l’impression qu’une sorte d’élaboration mystérieuse, de recueillement triste et douloureux présidait au commerce de la poésie.