Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/229

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cœur ; car ils sentaient que, si le poète fraternisait avec eux littérairement, l’homme se tenait à l’écart matériellement ; et leur véritable affection se réserva pour les francs compagnons enclins à se livrer sans réserve, par exemple pour Barracand que je citerai comme le type du camarade facile et bon enfant.

Barracand arrivait de la Drôme, plein d’ardeur poétique et paré d’un prestige que lui valait la situation pécuniaire de sa famille. Son père était un solide propriétaire de terroir, à la fois bourgeois et campagnard, habitant aux portes de Romans une manière de manoir, entre le faubourg et les champs, ce qui lui permettait d’aller faire de bons dîners à la ville et des battues de gibier dans la plaine. Élevé dans le sentiment de cette vie large, Barracand ne put jamais sarrêter sérieusement à l’idée du gain nécessaire et s’inspirer du souci des lendemains. Venu pour faire son droit à Paris, il y fit surtout de la littérature et publia, sous le pseudonyme Léon Grandet, un poème Donaniel dont le succès mit en rumeur le clan des Lettres.

Barracand est de ceux qui, vieillissant, ne se ressemblent en rien de leur jeunesse. On le connaît aujourd’hui marchant du pas tranquille des assagis, les épaules infléchies, le dos appesanti. Tout en lui s’est épaissi, le corps aux gestes lents, le visage aux traits pleins, aux galbes équarris en dépit de la rondeur du crâne qui chauvine. Le teint s’est alourdi ; la voix même a changé son doux grasseyement d’autrefois en sonorités cavernantes. Sous cet aspect massif qui rappelle sa bonne origine dauphinoise, comme si, sur la pente du déclin, il retournait à sa vraie nature pétrie de forte argile, on s’efforcerait vainement de retrouver le joli provincial qui, vers le milieu du second Empire, débarquait au quartier latin. Mince, élancé, presque élégant, il avait la tête petite, le teint mat admirablement rehaussé par le noir des longs cheveux rejelés en arrière ; plus enveloppés sous leurs