Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/253

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concrète. C’est assurément en suivant cette direction que Jules Lemaître a rétabli le sens général du célèbre sonnet le Tombeau d’Edgar Poë, ce qui lui permit de montrer du même coup que la conception initiale de ce sonnet ne manquait ni de grandeur ni de beauté. Toutefois, en dépit de cette conclusion laudative, Jules Lemaître avait tourné son article de manière à laisser entendre qu’il considérait le poème ni plus ni moins qu’un rébus en quatre versets. Ces versets contenaient en effet pas mal d’aspérités. À titre d’exemple je cite l’un des quatrains.


Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.


L’Ange c’est Poë qui sut tirer du langage vulgaire des accents plus nobles et plus beaux. Eux ce sont les sots et les méchants, c’est la foule ignorante des sources vives du génie et qui prétendit que Poë puisait dans l’ivresse la magie des images et des visions sublimes. On voit que l’idée, malgré la forme surélocutoire qu’elle revêt, n’a rien d’abstrait ; elle défend Poë d’une accusation toute matérielle ; s’il eut les dons d’un grand écrivain, ce n’est pas à l’alcool qu’il les doit. Et Mallarmé, tout en s’étant fait une loi de l’énigme en poésie, croyait s’exprimer par détours symboliques mais sans obscurités. Il fut donc choqué des réserves et des sous-entendus de Jules Lemaître. Interrogé sur ce fait par un de ses amis, il répondit :

— Ce Lemaître est un garçon d’esprit et cependant, à force d’esprit, il arrive à proférer des choses bêtes. Il fait, avec un air de bonhomie, des plaisanteries sur les prétendues ténèbres d’un sonnet dont un enfant de quatre ans verrait les clartés.