Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/28

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bon tirailleur. Il lui manquait le don de surprise, la rapidité qui se développe aux dépens de la perfection. Douze ans plus tôt et moins âgé que n’était alors Leconte de Lisle, Louis Blanc avait déjà publié, dans un petit journal sans lecteurs, des articles qu’Armand Carrel avait pu remarquer et qui lui valurent ses entrées à la Rédaction du National. C’est que Louis Blanc était né polémiste comme Leconte de Lisle était né poète, et qui dit poète dit inapte à tous les maniements de la politique.

Cependant, ne pouvant plus vivre à Saint-Denis, Leconte de Lisle avait obtenu de ses parents une pension qui lui permit de s’enrôler seulement en seconde ligne sous la bannière de la Démocratie pacifique ; il limita sa collaboration à l’action littéraire[1], pour laquelle il n’eut à s’inspirer que de l’esprit libéral et des principes généraux du journal. Il publia dans la Phalange des vers ; puis la Démocratie connut les mauvais jours. Si les bureaux étaient toujours pleins de causeurs, la caisse était fréquemment vide. On n’en pérorait pas moins, on discutait en buvant le minimum.

Ce minimum, qui fut célèbre à son heure dans les annales du parti, n’était qu’un verre d’eau sucrée, relevée d’un peu de rhum et remplaçant, dans les temps de détresse, les trois ou cinq francs devant revenir chaque soir au rédacteur. Leconte de Lisle n’a jamais été buveur ; il s’est plu de tout temps à la causerie ; ainsi gardait-il du minimum un souvenir presque ému. Ce fut pour lui le plus clair bénéfice.

  1. Leconte de Lisle ne faisait pas entrer en ligne de compte, dans son souvenir, ses rares articles politiques ou sociaux, rédigés d’ailleurs comme des morceaux de style, en exercices de littérature. M. Marius-Ary Leblond, qui s’est très consciencieusement imposé la tâche décevante de reconstituer un vrai Leconte de Lisle par le document (voir le Mercure de France, septembre à novembre 1901), leur accorde un intérêt exceptionnel que Leconte de Lisle ne leur accordait pas.