Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/31

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dans ses désirs, il souffrit le moins des trois. Ouvert à toutes choses, le mieux préparé par ses facultés conceptives à jouir des mystères du monde et du spectacle de la vie, il put avoir le plus de joies parce qu’il avait le plus de ressort mental.

D’abord attiré vers la science, admis à travailler dans le laboratoire du chimiste Pelouze, il reconnut la solubilité du coton-poudre dans l’éther, et la photographie lui doit le collodion. S’adonnant à la peinture, il fit paraître à différents Salons des Compagnies de cerfs, des Intérieurs de forêts, des Matinées d’automne ou d’hiver, des Pâturages normands. Philosophe, il devait écrire des œuvres de foi presque mystique, bien qu’indépendante. Historien des peuples d’Orient, des Grecs et des Juifs, il sut les présenter par synthèses originales. Poète, dénué de grande inspiration, s’il n’a pas les dons sublimes, il a la distinction que donne une excellente culture. En prose il écrit noblement. On l’a donc à tort appelé le lieutenant de Leconte de Lisle, qu’il surpasse par la variété, l’étendue, la particularité même de son intelligence et dont il fut, par plusieurs initiations, le précurseur, quoique par l’âge il en fût le cadet.

Sans doute il a professé pendant toute sa vie l’admiration la plus constante et la moins feinte pour Leconte de Lisle, devant le génie duquel il sut abaisser son talent ; sans doute, dévoué jusqu’à l’oubli de lui-même, il serait resté le familier de la dernière heure, si sa vieille affection de près de trente années ne s’était heurtée, vingt-trois ans avant la mort de Leconte de Lisle, à des contradictions étrangères aux sentiments des deux amis. Sans doute, produisant des œuvres nobles, mais privées d’éclat, il n’eut jamais de quoi briller et put paraître le satellite du poète « à la splendeur précise ». Pourtant des deux, je le répète, ce fut lui le plus compréhensif. Leconte de Lisle ne s’intéressait aux sciences qu’en curieux de leurs applications ; il se fatiguait vite de leur théorie.