Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/36

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Lemoyne, parlant de l’épithalame que Théodore de Banville venait d’écrire pour le mariage de l’empereur, ouvrit une discussion sur la valeur morale des poètes indifférents en matière de politique. On bataillait à leur sujet. La théorie de Théodore de Banville fut assez malmenée ; Il prétendait, en composant des vers, faire son métier de poète sans se préoccuper de la cause qu’il célébrait, à l’instar de l’avocat qui plaide pour tous les genres de clientèle. Et cependant cet insouciant joueur de rimes, dégagé de toute foi politique, eut, vers ses derniers jours, une conviction très inattendue. En face de l’infini, devant l’irréparable, pris d’une immense pitié rétrospective pour ceux qui peinent et ceux qui souffrent, en haine de la vie mal faite, il devint socialiste. Esprit léger, mais cœur sincère, il mourut comme il aurait voulu vivre s’il n’eût été constamment entraîné loin de ses vrais sentiments et s’il n’eût suivi malgré lui les voltiges du joli papillon bleu logé dans sa cervelle. Mais, à la pension Laveur, on jugeait surtout d’après les apparences. L’épithalame fut condamné d’autant plus vigoureusement que souvent le prix de telles palinodies n’en vaut pas la honte. Et ce fut pour Potrel l’occasion de citer un autre poète, habitué de la pension et très coté pour le talent. Celui-là du moins avait l’excuse de la faim : par misère il avait aussi fait un épithalame ; or, pour toute récompense, il avait reçu de la part de Sa Majesté le don de cinquante francs. « Cinquante francs de plus que cela ne vaut, mâchonna Cressot. — Mais les vers sont bons. La pièce a du talent, riposta Potrel. — Parbleu c’est précisément la raison pour laquelle elle est plus indigne. Avoir du talent et le ravaler jusqu’à thuriférer l’Empire ! c’est dégoûtant. — Dégoûtant, conclut alors Potrel ; on dirait, Cressot, que vous ne savez pas à quelle extrémité peut réduire la gêne. » Eh ! qui le savait mieux que l’infortuné Cressot ? Seulement, lorsque son crédit eut pris fin, plutôt que de cé-