Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/37

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lébrer le tyran qui payait, il préféra vivre d’un petit verre bu le matin et composer des hymnes à la gloire de Garibaldi qui ne payait pas. Quand il mourut, il venait de toucher un modeste legs à lui laissé par un ancien ami. C’était le pain assuré. Trop tard, depuis trop longtemps, il avait perdu l’habilude d’en manger.

Quant à Bénézit, assez laid, la barbe courte, l’œil un peu mort, il était l’homme qui devait toujours arriver au succès et n’arrivait jamais. C’est à lui que Leconte de Lisle écrivait des lettres publiées par un Journal et dont le destinataire n’a pas été nommé. Leconte de Lisle y fait allusion à certain drame qu’il admirait alors avec conviction et dont il avait gardé quelque estime, car on ne pouvait lui parler de Bénézit, sans qu’il reprit : « Ah ! mais Bénézit… » Il n’allait pas jusqu’à compléter sa phrase en ajoutant : « … Bénézit avait des dons » ; pourtant il le laissait entendre, Charles Bénézit était surtout professeur de musique ; il ne négligeait pas sa mise, se tenait discrètement à sa place et parlait peu ; mais, pauvre d’argent comme tous ceux de la bande, il était également pauvre d’apparence et ne payait pas d’aspect. Son rôle paraît avoir consisté surtout à compter comme unité de républicanisme.

Auguste Lacaussade, créole de Bourbon, fortement mâtiné d’origine gasconne, était engagé sur le chemin de la gloire alors que Leconte de Lisle venait seulement de débarquer. Aussi put-il favoriser les débuts de ce jeune compatriote dont il contribua, je crois, à faire imprimer en livre les premières œuvres. Plus âgé seulement d’un an, mais beaucoup plus précoce, il avait déjà publié son volume de vers in-octavo, traduit Ossian et gagné je ne sais quelle couronne académique, titres qui, vis-à-vis d’un débutant, conféraient en ce temps-là le rang de patron, non le rang de camarade littéraire. Leconte de Lisle lui dédia sa plus belle pièce de vers, le Dies iræ. Il en eut regret plus tard, quand commencèrent à se produire