Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/38

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entre eux les premiers symptômes d’une brouille qui devait aboutir à des querelles d’homérique souvenir. Républicain, Lacaussade prit en 1848 la direction d’un journal démocratique ; mais, quoiqu’il répétât sans cesse : « Je suis né, je mourrai parmi les révoltés », il inclinait vers les horizons modérés. Les jeunes jacobins le taxaient de conservateur. De fait il n’était pas des leurs.

Tout au contraire Bermudez, un vrai noble d’Espagne, titré de Castro, comme la célèbre Inès, et frère d’un ministre, cousin d’un don marquis de Lerna, « l’étincelant Bermudez », demi-fantoche, extravolubile, faisait partie du fond intime de la bande. Plutôt grand, un peu fort, il semblait un agrégat physique retenu par des ficelles. On n’eût pas été surpris d’apprendre qu’il se démontât des jambes et des bras. Aimable et dénué de toute morgue originelle, il possédait le don d’être partout à l’aise et savait se dégager avec élégance des attaches qui le liaient, de par sa naissance, à la politique étroite des Bourbons d’Espagne. Ses illustres parents le traitaient comme le bohème de leur famille ; mais il devait avoir sur eux l’avantage d’un degré de nature supérieure, plus avertie de toutes choses, plus désintéressée. Fort instruit, on aurait eu peine à trouver un sujet de conversation sur lequel il n’eût une certaine préparation et ne pût développer quelques-uns de ses brillants paradoxes. Verbeux, il n’ennuyait jamais, parlait plutôt avec éloquence, n’intervenait pas sans à-propos, et ce n’est point d’un sot d’avoir ainsi donné cette sensation de justesse en une langue et dans un milieu qui n’étaient pas les siens. Sans doute il tenait du pantin, mais ses gesticulations innocentes ne l’empêchaient pas d’être généreux, libéral et sincère, c’est-à-dire d’avoir certaines des qualités essentielles dont une belle âme est faite.