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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/70

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tées dans la richesse ; continuant à dépenser largement, faisant courir, il hâta la ruine qu’il avait mission de conjurer. Le dernier frère, Paul, considéré comme une capacité commerciale, ne put sauver que des bribes.

À la privation d’argent s’en était jointe une autre. Coup sur coup Leconte de Lisle s’était trouvé séparé de ses deux meilleurs amis, l’exil, qui l’épargnait, ayant atteint Louis Ménard et de Flotte.

Comme tous les spéculatifs, Louis Ménard fut un tempérament plutôt de réserve et n’eut pas d’attraction pour les rudesses qu’il adoucissait volontiers par des demi-teintes discrètes. S’étant proposé de peindre en un poème de trois cents vers[1] l’amour jalousement charnel qu’une néophyte, blonde aux yeux noirs ressent pour une chère compagne brune aux yeux bleus qui vient de quitter le couvent et qui se marie, il procède par touches si mesurées, par enveloppements si poétiques, que les traits scabreux s’effacent et, mis sous les yeux d’une jeune fille, ne seraient pas compris. Pourtant ses scrupules délicats étaient tels qu’il n’a pas fait réimprimer son volume de vers et l’a laissé pendant vingt ans à l’état d’édition épuisée tant que sa fille n’a pas été mariée. Il n’eût pas voulu qu’elle pût lire, à la faveur d’une édition nouvelle, le poème dont certainement elle aurait laissé passer, sans soupçon de saphisme, la situation très platoniquement perverse. Eh bien, ce même homme aux pudeurs inquiètes et si contenu dans certaines de ses audaces, perdait toute prudence dès qu’il traitait de politique.

Étant à Londres près de sa sœur en 1871, il ne prit aucune part à la Commune et ne fut pas témoin des exécutions sommaires qu’elle provoqua ; cependant il ne put jamais en parler sans une nervosité presque maladive et ce fut la cause d’une scène fort vive qui le tint pendant plus de treize ans éloigné de la maison

  1. Blanche.