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qui jusqu’alors avait été la sienne, la maison de son plus vieil ami Leconte de Lisle. De même, après les journées de juin 1848, surexalté par les fusillades de prisonniers au sujet desquelles il avait fait une enquête, il écrivit cinquante strophes indignées pour glorifier les « assassinés ». Publiées d’abord en feuilletons par le Peuple, puis en livre avec les autres articles qu’il avait fait paraître dans le même journal, ces strophes, Gloria victis, furent l’objet d’une action judiciaire[1]. Afin de tuer sous les amendes la feuille de Proudhon, on l’accablait de procès. Louis Ménard fut poursuivi solidairement, et l’avocat du journal, Madier de Montjau, prit les deux affaires en main ; mais il plaida pour la galerie, en orateur qui veut se préparer une candidature. Il n’avait pas lu les pièces incriminées et laissa très maladroitement au ministère public toute latitude pour relever et détailler les passages qui pouvaient paraître à la rigueur justifier l’insurrection. Leconte de Lisle, placé derrière Ménard et ne croyant pas encore à la possibilité d’une condamnation, lançait insouciamment cette boutade, qu’il répétait à propos de chaque pensée mise en relief par l’accusation : « Attrape ! Voilà ce qu’on gagne à faire des vers, poète. »

Cependant, après la malencontreuse plaidoirie de l’avocat, Ménard crut devoir prendre la parole pour expliquer ses intentions et disculper ses vers. Sur ce sujet qui l’entraînait, il ne sut pas refréner son ardeur. Les bonnes gens composant le jury sont choisis parmi les amis de l’ordre ; l’excès de chaleur politique les indispose. Avec Leconte de Lisle, derrière Ménard, se trouvait Eugène Maron ; tous deux s’unirent pour arrêter le flot d’éloquence dangereuse que laissait déborder leur ami : « Très bien, très bien… mais c’est

  1. Sous le titre général : Prologue d’une révolution, le livre imprimé par l’Imprimerie du Peuple était vendu dans les bureaux, rue du Coq-Héron.