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bon ordre qui régnait partout. Nous arrivâmes ; je me trouvai dans une cour fort bien tenue, où s’élevaient un grand magasin et deux petites demeures. Une palissade assez haute séparait ces bâtiments de la maison principale, qui était accompagnée d’un magnifique bouquet d’orangers couverts de fruits.

Un mulâtre espagnol vint me recevoir, et m’introduisit dans une salle où le sénhor Gonçalvès, ses deux fils et un blanc qui avait été maître d’équipage sur un vaisseau de guerre portugais, étaient à déjeuner.

La pièce où j’entrai me causa une surprise extrême ; elle était planchéiée, les fenêtres avaient des jalousies vertes, le plafond était tapissé de blanc, la muraille soigneusement enduite et décorée de jolis dessins faits au pinceau ; enfin, sur la table couverte d’une nappe très blanche, se voyaient toutes sortes de bonnes choses. Le sénhor Gonçalvès, un vieux gentleman d’une courtoisie charmante, me fit l’accueil le plus cordial ; et, m’engageant à ne pas faire de cérémonie, il m’invita à me mettre à table. Je ne demandais pas mieux, et profitai amplement du meilleur repas que j’eusse fait depuis bien des jours. La cuisine était excellente ; des biscuits, du beurre et d’autres friandises s’ajoutaient au solide, et s’arrosèrent de vinho tinto, suivi du café.

Après le déjeuner, Gonçalvès me montra son domaine et me raconta son histoire. Il avait débuté par être dans la marine ; fatigué de la vie errante, il s’était arrêté dans l’Angola et fixé dans le Bihé. Ruiné deux fois par l’incendie, il avait recommencé avec des capitaux d’emprunt, dont l’intérêt usuraire avait d’abord absorbé presque tout le bénéfice ; puis les affaires ayant grandi, il s’était libéré et avait eu lieu d’être satisfait.

Au bout de trente ans de cette vie laborieuse, il était retourné à Lisbonne avec l’intention d’y finir paisiblement ses jours ; mais les amis qu’il y avait laissés étaient morts, il n’était plus assez jeune pour en faire de nouveaux ; bref, après trois ans d’absence, il était revenu dans le Bihé. Son retour ne datait que de trois semaines.

Avant de partir pour Lisbonne, il avait du blé, de la vigne, un jardin rempli de légumes d’Europe ; et froment, raisin et légumes venaient à merveille ; mais, en son absence, tout s’était perdu faute de soins ; il ne lui restait que ses oranges, les plus belles et les meilleures qu’on pût voir, et une haie de rosiers de trente pieds de haut, alors en pleine fleur.