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pourquoi. Les Étésiens s’étonnaient de ces yeux très rapprochés, ouvrant deux gouffres d’eau verdâtre, auprès d’un nez étroit et volontaire, sous l’arcade jumelle de sourcils versant une ombre lourde, et la rougeur inusitée, presque noire, des lèvres de sang les inquiétait dans la pâleur immaculée de ce visage ovale. Le sang oriental d’Alilat se décelait à leurs yeux surpris de montagnards blonds aimant les femmes aux bouches roses et aux joues vivement colorées.

Il émanait d’elle une suggestion de volupté intense que démentait la froideur minérale de ses prunelles pensives et la dureté de sa bouche crispée. Passive aux désirs de Cimmérion, elle gardait une dignité presque fatidique, le secret d’une passion dont nul ne saurait les dédales et qui dormait en elle comme un palais de pierre noire. Peut-être personne n’avait-il su emplir ces voûtes abstraites et lugubres de l’écho d’un nom. Il ne semblait pas qu’Alilat gardât le souvenir et la haine de sa race détruite et de son corps saisi par le prince conquérant : indifférente elle était passée d’un pays à l’autre, insensible comme un symbole qui ne se sait pas profané, et qui garde la même splendeur aux voûtes des temples où viennent l’admirer ses vainqueurs qu’aux sanctuaires où son culte enorgueillissait les vaincus. Sparyanthis était presque surpris de ne point s’émouvoir de cette beauté d’Alilat vers qui son long ennui des