Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maris en murmurèrent : quelques étourdies contractèrent des dettes ; il y eut de fâcheuses scènes de famille, plusieurs ménages refroidis ou brouillés ; et le bruit général fut que la reine ruinerait toutes les dames françaises.

Le costume changea successivement, et les coiffures parvinrent à un tel degré de hauteur, par l’échafaudage des gazes, des fleurs et des plumes, que les femmes ne trouvaient plus de voitures assez élevées pour s’y placer, et qu’on leur voyait souvent pencher la tête ou la placer à la portière. D’autres prirent le parti de s’agenouiller pour ménager, d’une manière encore plus sûre, le ridicule édifice dont elles étaient surchargées[1]. Des caricatures sans nombre exposées partout, et dont quelques-unes rappelaient malicieusement les traits de la souveraine, attaquèrent inutilement l’exagération

  1. Si l’usage de ces plumes et de ces coiffures extravagantes se fût prolongé, disent très-sérieusement les Mémoires de cette époque, il aurait opéré une révolution dans l’architecture. On eût senti la nécessité de hausser les portes et le plafond des loges de spectacle, et surtout l’impériale des voitures. Le roi ne vit pas sans chagrin la reine adopter cette espèce de coiffure : elle n’était jamais si belle à ses yeux que de ses seuls agrémens. Un jour que Carlin jouait à la cour, devant cette princesse, en habit d’arlequin, il avait mis à son chapeau, au lieu de la queue de lapin qui en est l’ornement obligé, une plume de paon d’une excessive longueur. Cette aigrette d’un nouveau genre, et qui s’embarrassait dans les décorations, lui donna lieu de hasarder cent lazzis. On voulait le punir : mais il passa pour certain qu’il n’avait point agi sans ordre.
    (Note de l’édit.)