Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/170

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Leckzinska avait continué les fonctions de sa charge auprès de la jeune reine. C’était une de ces vieilles personnes qui ont le bonheur de dérouler le fil entier de leur vie au service des rois, sans savoir rien de ce qui se passe dans les cours. Elle était très-dévote : l’abbé Grisel, ex-jésuite, la dirigeait. Riche par ses économies et par un revenu de 50,000 l. long-temps possédé, elle avait une très-bonne table, et son appartement, au grand commun, réunissait souvent les personnages les plus distingués qui tenaient encore à l’ordre des jésuites. Le duc de La Vauguyon avait des relations avec elle ; leurs chaises, à l’église des Récollets, étaient placées près l’une de l’autre ; ils chantaient ensemble à la grand’-messe et à vêpres le Gloria in excelsis et le Magnificat ; et la pieuse fille, ne voyant en lui que l’élu de Dieu, était fort loin de croire le duc ennemi déclaré d’une princesse qu’elle servait et révérait. Le jour de sa mort, elle accourut toute en larmes raconter à la reine les actes de piété, les actes d’humanité et de repentir des derniers instans du duc de La Vauguyon. Il avait, disait-elle, fait venir ses gens, pour leur demander pardon… « De quoi ? reprit la reine avec vivacité : il a placé et enrichi tous ses valets ; c’était au roi et à ses frères que le saint homme que vous pleurez devait demander pardon, pour avoir si peu soigné l’éducation des princes dont dépendent les destinées et le bonheur de vingt-cinq millions d’hommes. Heureusement, ajouta-t-elle, que, jeunes encore, le roi et ses frères n’ont