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philosophes : leur conduite était légère, plusieurs de leurs ouvrages sont condamnables, il est vrai ; mais ce qu’il y avait de pur dans leurs doctrines, a passé de leurs écrits dans nos mœurs. Si les liens de la famille se sont resserrés, si nous sommes meilleurs époux, meilleurs pères, et plus hommes de bien ; si le vice est méprisé ; si la jeunesse, avide d’études sérieuses, repousse avec dégoût les ouvrages licencieux qu’accueillait le libertinage de ses pères, nous le devons à un nouvel ordre de choses. En politique, en législation, en finances, les philosophes ont préparé d’utiles réformes. Leurs écrits, mal compris alors, mais lus avec avidité, leur donnaient un grand pouvoir sur l’opinion. La cour, habituée si long-temps à l’influence que lui assuraient l’esprit, la politesse des manières, et l’habitude des grands emplois, ne vit pas sans étonnement cette nouvelle puissance s’élever auprès d’elle. Au lieu de la combattre, on la flatta. L’enthousiasme gagna tous les esprits : c’était à la table, dans le salon des plus grands seigneurs, qu’on traitait hardiment de préjugés les distinctions du rang. Ces principes d’égalité trouvaient souvent dans la noblesse des partisans d’autant plus zélés, qu’en les faisant valoir ils se montraient plus généreux. Il était presque reconnu que le mérite devait l’emporter sur la naissance, et l’on doit ajouter qu’alors, comme de nos jours, la noblesse comptait un grand nombre d’hommes qui n’avaient point à protester contre cette démarcation nouvelle.

Ainsi, tandis que les conditions moyennes s’élevaient fières de leurs connaissances, de leurs talens, de leurs lumières, les hautes classes semblaient aller au-devant d’elles, par un mouvement de curiosité et de bienveillance : la cour subissait encore les lois de l’étiquette, que