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de la première époque. S’aimer sans plaisir, se livrer sans combat, se quitter sans regrets, traiter le devoir de faiblesse, l’honneur de préjugé, la délicatesse de fadeur, telles étaient les mœurs du temps : la séduction avait son code, et l’immoralité était réduite en principes. Bientôt on se lassa même de ces succès rapides, peut-être parce que la facilité du triomphe en diminuait trop le mérite. Les gens de cour, les riches financiers entretenaient à grands frais des beautés qu’ils n’étaient pas même obligés de connaître : le vice était un luxe de la vanité ; l’état de courtisane menait rapidement à la fortune, j’ai presque dit à la considération.

Dans les années qui précédèrent et qui suivirent l’avénement de Louis XVI au trône, la société présentait un spectacle nouveau. Les mœurs n’étaient pas meilleures, elles étaient différentes. Par un étrange abus, les désordres semblaient trouver une excuse dans les idées philosophiques qui s’accréditaient de jour en jour. Leurs nouveaux partisans débitaient de si nobles maximes, pensaient, discouraient si bien, qu’ils n’étaient pas forcés de bien agir. Il était permis d’être mari volage, épouse infidèle à ceux qui parlaient avec respect, avec enthousiasme, des saints devoirs du mariage. L’amour de la vertu et de l’humanité dispensait d’avoir des mœurs. Les femmes discutaient, au milieu de leurs amans, sur les moyens de régénérer l’ordre social. Il n’y avait pas de philosophe, admis dans un des cercles à la mode, qui ne se comparât modestement à Socrate chez Aspasie ; et Diderot, auteur téméraire des Pensées philosophiques, écrivain licencieux des Bijoux indiscrets, aspirait à la gloire de Platon, mais ne rougissait pas d’imiter Pétrone.

Non que je veuille assurément jeter du blâme sur les