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La toilette de la reine était aussi un sujet perpétuel de critique pour l’empereur. Il lui reprochait d’avoir introduit trop de modes nouvelles, et la tourmentait sur l’usage du rouge auquel ses yeux ne pouvaient s’habituer. Un jour qu’elle en mettait plus que de coutume, devant aller au spectacle, il lui conseilla d’en ajouter encore, et indiquant une dame qui était dans la chambre, et qui en avait à la vérité beaucoup : « Encore un peu, sous les yeux, dit l’empereur à la reine ; mettez du rouge, en furie, comme madame. » La reine pria son frère de cesser ses plaisanteries, et surtout de ne les adresser qu’à elle seule, quand elles seraient désobligeantes. Cette manière de critiquer les usages et les modes établies convenait assez à l’esprit frondeur qui régnait alors ; autrement l’empereur eût été généralement blâmé. Les gens qui tenaient par principes aux anciens usages, furent seuls affligés, et lui surent très-mauvais gré de quelques accès d’une franchise par trop déplacée[1].

La reine lui avait donné rendez-vous au Théâtre

  1. Sans nier le penchant que montrait l’empereur à la raillerie, l’on doit ajouter qu’il savait aussi, selon l’occasion, tourner agréablement des choses flatteuses. Madame de Genlis rapporte même, dans ses Souvenirs de Félicie, un trait qui vaut mieux qu’un mot spirituel. On sait que Joseph II parcourut plusieurs provinces de la France. « À Nantes, dit d’abord madame de Genlis, il partit de son auberge à la petite pointe du jour ; il trouva, dans la cour, sa voiture entourée de toutes les jeunes dames de la ville, toutes excessivement parées : l’empereur, après les avoir saluées, dit,